(Courrier International, 26 août 2019)
La nouvelle capitale indonésienne sera construite dans la province de Kalimantan-Est, sur l’île de Bornéo. Une décision annoncée par le président Joko Widodo pour rééquilibrer le territoire indonésien, mais qui suscite de nombreuses réactions négatives.
“La nouvelle capitale indonésienne sera construite dans le district de Penajam Paser Utara et Kutai Kartanegara, dans la province de Kalimantan-Est”, rapporte Tempo en ligne reprenant le discours prononcé le 26 août par le président Joko Widodo, dit “Jokowi”.
Cette annonce met fin à des années, voire des décennies, de rêves et de conjectures jamais concrétisés, a rappelé dans son discours le président indonésien :
“Le projet de déplacer la capitale est en discussion depuis longtemps, il en était déjà question à l’époque du premier président de la République indonésienne, Sukarno. En tant que grande nation indépendante depuis soixante-quatorze ans, l’Indonésie n’a toujours pas déterminé et planifié elle-même sa capitale.”
En moins de trois minutes, Jokowi s’est évertué à répondre aux nombreux arguments contre le déplacement de la capitale dont les médias indonésiens se font l’écho depuis des mois.
Gouffre financier et menace environnementale
Le coût financier d’une telle opération, chiffré par le gouvernement lui-même à 466 000 milliards de roupies, soit 30 milliards d’euros, et le coût environnemental sont parmi les principales critiques soulevées par ce projet, prévu pour être en partie achevé d’ici à 2024.
La semaine dernière, Tempo rapportait les propos critiques de Khalisah Khalid, un des responsables de Walhi, la plus importante organisation environnementale indonésienne:
“À Kalimantan, la politique de conversion des terres et des forêts pour diverses industries a provoqué une crise écologique et sociale à laquelle le gouvernement n’a pas prêté attention. On peut citer notamment les incendies de forêt ou les cas d’enfants qui sont morts en tombant dans les trous d’anciennes mines de charbon abandonnées par les compagnies minières. Voilà qu’ils veulent maintenant déplacer la capitale parce que Jakarta est congestionnée. L’urgence est de résoudre d’abord la crise environnementale qui sévit depuis longtemps à Kalimantan!”
Le quotidien Kompas publie l’intégralité du discours de Jokowi, qui évoque les problèmes auquel le déménagement de la capitale doit répondre :
“Beaucoup se demandent : pourquoi faut-il déménager ? La première raison est que le fardeau de Jakarta est désormais trop lourd en tant que siège du gouvernement, centre d’affaires, centre financier, centre commercial et de services. Elle est le site du plus grand aéroport et du plus grand port de mer d’Indonésie. Deuxièmement, le poids de Java ne cesse d’augmenter, avec 150 millions d’habitants, soit 54 % de la population totale de l’Indonésie et 58 % de son PIB qui se trouvent concentrés sur l’île de Java, source en outre des principales réserves alimentaires [de l’Indonésie].”
Quitter Java pour rééquilibrer le développement
Outre la congestion de la circulation, la densité de population et la pollution de l’air à Jakarta, où vivent 30 millions de personnes, Jokowi estime qu’il y a urgence à déplacer la capitale pour rééquilibrer le développement du pays.
Car, malgré l’autonomie régionale mise en place en 2001, la disparité économique entre Java et les autres îles de l’Indonésie continue de s’accentuer, en faveur de la première.
Mais pourquoi avoir arrêté son choix sur cette région de Kalimantan-Est ? Tempo en ligne liste les cinq raisons principales évoquées par le président :
1. Risque de catastrophe naturelle minime. Pas ou peu de risque d’inondation, de séisme, d’éruption volcanique, de tsunami, de glissement de terrain.
2. Position géographique au centre de l’Indonésie.
3. Proximité de régions très développées. À savoir la capitale indonésienne du pétrole, Balikpapan, et le port de Samarinda.
4. Présence d’infrastructures, dont un réseau d’autoroutes reliant deux aéroports, dont un international.
5. Un territoire qui appartient à l’État.
Crainte de la spéculation immobilière
Sur ce cinquième point, le ministre des Affaires agraires et de l’Aménagement du territoire, Sofyan Djalil, a précisé à Kompas que le gouvernement est propriétaire de 180 000 hectares dans la zone choisie pour être le site de la nouvelle capitale :
“Une fois que l’emplacement exact aura été déterminé, nous entamerons le processus de gel des terres afin d’éviter toute spéculation foncière.”
Quelques minutes après la conférence de presse du président, les courtiers immobiliers se ruaient déjà sur le district de Kutai Kartanegara, où sera bâtie la future capitale. Par ailleurs, il est intéressant de noter que c’est dans cette région qu’était situé, au Ve siècle, le premier royaume hindou attesté dans l’archipel indonésien.
Manque de concertation
Les militants écologiques locaux regrettent que l’avis des populations locales n’ait pas été recueilli.
Pour le gouverneur de la province de Kalimantan-Est, Isran Noor, cette installation dans sa province est une bonne nouvelle, comme il le confie à Kompas :
“L’impact positif ne se fera pas sentir uniquement sur Kalimantan-Est, mais sur toutes les provinces de Kalimantan et au-delà, sur les provinces du centre et de l’est de l’archipel indonésien. Le site de la nouvelle capitale jouxte, par la mer, la partie occidentale de l’île de Célèbes.”
Le député Mardani Ali Sera, explique au quotidien Republika regretter l’empressement du président:
“Le déplacement de la capitale relève à la fois du domaine de l’exécutif et du législatif, le Parlement doit être impliqué. On a le droit de vouloir aller vite, mais la procédure ne peut pas être esquivée.“
